[dropcap size=big]V[/dropcap]oici le deuxième opus de notre mini série : « Le cyclisme autrement », celle-ci a pour but de vous faire découvrir d’autres facettes du monde cycliste. Durant ces reportages, vous aurez la possibilité d’en apprendre un peu plus sur le cyclisme et ses aspects moins connus du grand public. Il est pour nous temps d’ouvrir la porte, et de pénétrer dans de nouveaux univers et aujourd’hui, nous nous intéressons au cyclisme féminin. Peu médiatisé, nous allons grâce aux témoignages de Manou Merlot ancienne coureuse chez le team Poitou-Charentes Futuroscope 86 et consultante pour BeIn Sports et France Télévisions ainsi qu’Eva Mottet, membre du Chambéry Cyclisme Compétition, en apprendre un peu plus sur le développement du monde cycliste féminin.
Un accès au monde professionnel difficile
Tout comme les garçons, dès leur plus jeune âge, les filles peuvent pratiquer le cyclisme au sein d’un club. Ces clubs permettent aux coureuses de gravir les échelons et de se démarquer pour certaines d’entre elles. Manou Merlot en fait partie. Ayant débuté le cyclisme très tôt, elle a grâce à son club pu disputer des courses dans différentes catégories: « J’ai commencé à 8 ans sur des courses d’écoles de vélo, ensuite, j’ai continué dans les catégories cadettes puis juniors ». Seulement, une fois arrivé au stade de la catégorie cadette, les perspectives d’avenir se réduisent comparé aux hommes, notamment par les manques d’infrastructures et d’accompagnement des jeunes coureuses vers le monde professionnel: « Il est difficile d’évoluer dans le cyclisme féminin, la Fédération Française de cyclisme (FFC) ne peut pas accompagner les jeunes ! A mon année de cadette 2, c’étaient mes parents qui m’emmenaient dans tous les coins de la France pour essayer de courir avec toutes les filles du territoire et donc connaître mon niveau » nous confie Manou Merlot rejointe part Eva Mottet qui rajoute: « Au niveau du développement, on a de bonnes juniors, la nouvelle génération pousse ! On remarque que l’effort de structuration paye en junior, mais j’espère que celles-ci vont passer à l’échelon supérieur ». Comme nous l’indique la membre de Chambéry Cyclisme Compétition, des efforts visant à réduire ces difficultés pour les jeunes sont mis en place, avec par exemple, des comités régionaux qui sélectionnent des coureuses pour qu’elles affrontent une concurrence plus élevée. Pour Manou Merlot, cette avancée n’est pas assez poussée: » Les comités peuvent sélectionner des filles, mais cela ne se résulte qu’à quelques sélections dans l’année, ce n’est pas assez« . D’autres épreuves se développent, comme l’apparition de l’épreuve chronométrée en 2005 aux championnats de France, permettant aux coureuses d’acquérir de l’expérience et de se frotter à un niveau plus fort. La mise en place de ces événements permettent à certaines d’entre elles de se faire repérer aux yeux des équipes professionnelles. En conclusion, face à la difficulté de se créer un avenir dans le circuit, Eva Mottet (membre du Chambéry Cyclisme Compéttion) se montre fataliste: « Faire du vélo, c’est beaucoup de sacrifices personnels et professionnels, à un moment donné les filles sont obligées de mettre leur passion de coté pour trouver un travail, pour pouvoir vivre dans leur vie future. C’est de plus en plus dur de concilier les deux, une fille elle sait qu’elle ne peut pas tout miser sur le vélo, elle sait qu’elle ne pourra pas en vivre, elle bosse souvent en parallèle, ce qui nuit sur les performances« .

Un développement à deux vitesses
A l’échelle internationale, le cyclisme féminin prend une nouvelle dimension. En suivant la voie du cyclisme masculin grâce à la création de l’UCI Women’s World Tour, ce qui est une avancée pour Manou Merlot: « Le cyclisme féminin se développe, il y a un circuit World Tour qui a été créé, ce qui fait que le cyclisme féminin est plus médiatisé, c’est beaucoup mieux qu’il y a 20-30 ans« . De nouvelles courses se sont créées depuis une vingtaine d’années comme la Flèche Wallonne et le Tour des Flandres ou encore, plus récemment, La Course by Le Tour dans lesquelles des équipes se démarquent, telles la Wiggle High 5 Pro Cycling et Rabobank Liv, avec des coureuses de diverses nationalités et contribuent ainsi à la création d’un peloton mondial féminin. Mais pour Manou Merlot, cette démarche d’émergence d’un niveau mondial n’est pas assez complète: « Je trouve que la Fédération Française n’appuie pas complètement ce développement, tout comme l’Union Cyclisme Internationale. Il faudrait qu’il y ai une équipe masculine World Tour et en parallèle, une équipe féminine World Tour !« . Malgré la progression du niveau international, à l’échelle national, le développement demeure timide. Si certains pays comptent au moins 3 équipes au niveau World Tour comme la Belgique (Lotto Soudal Ladies, Lares-Waowdeals women’s, LensWorld-Zanatta) et les Etats Unis (Cylance, UnitedHealthcare women’s, Tibco-Silicon Valley Bank), la France est quant à elle plus en retrait avec seulement une équipe: Le Team Poitou Charentes Futuroscope 86. »J‘ai l’impression qu’en France on ne s’améliore pas, on a qu’une équipe en World Tour et pas d’autres, c’est dommage d’en avoir seulement une » nous confie Manou Merlot agacée par ce retard.

A l’étranger, être coureuse cycliste devient une profession et les femmes de quelques grandes formations sont rémunérées pour pratiquer ce qui est devenu leur métier. Mais ce progrès ne s’applique pas à toutes les filles du peloton World Tour. En effet malgré son statut d’équipe professionnelle, l’équipe française est encore très loin des grosses cylindrées: « L’équipe Futuroscope permet aux filles d’avoir un matériel de qualité et surtout de prendre en charge les frais de déplacements, nous explique Manou Merlot. Cette année, c’est une révolution puisque nous avons un mécanicien et directeur sportif mais aussi une coureuse salarié, c’est un grand pas en France, mais c’est un pas qu’il faut poursuivre, il n’en faudrait pas une, mais onze (comme le nombre de coureuses du Team Poitou Charentes Futuroscope), ce n’est pas encore le cas… » Malgré cette petite avancée, le niveau des coureuses évoluant dans des équipes françaises est encore inférieur de l’international. Sur ce sujet, les deux femmes semblent d’accord. Malgré la mise en place d’une division nationale (comme les hommes), le niveau des équipes françaises est encore trop faible pour rivaliser sur la scène internationale. Ce manque de compétitivité est en grande partie causé par le manque de sponsors et à fortiori d’équipes : « J’ai l’impression qu’il manque un étage à la fusée en France, on a de bonnes équipes de formations en divisions nationales (DN 17 Poitou Charentes, DN Vélo Club Morteau-Montbenoit, …) et une équipe UCI (Poitou Charentes Futuroscope 86), mais quand tu te retrouves face à des équipes comme Orica Ais, Wiggle ou encore Rabobank Liv, que les filles sont professionnelles, et que toi tu as tes études ou ton travail à gérer, tu ne peux pas lutter avec la concurrence… Ce qui manque vraiment, c’est une équipe professionnelle, structurée ! Et que les filles soient payées à faire du vélo et donc faire de leur passion, un métier ! » nous alarme Eva Mottet, soutenue par Manou qui rebondit avec un œil plus optimiste: « Les divisions nationales permettent tout de même de voir les filles courir ensemble, cela créé un esprit d’équipe et surtout, elles offrent plus de possibilités aux coureuses de passer au Team Futuroscope et/ou une équipe étrangère ». Voyant ce constat, nous nous sommes demandés si les coureuses françaises n’avaient-elles plutôt pas intérêt à aller courir dans des équipes étrangères pour espérer jouer les grands rôles ? Directement Manou nous répond: « On le voit avec Pauline Ferrand Prévot , avec Audrey Cordon Ragot, le fait d’aller à l’étranger permet aux filles de passer un cap, c’est ce qui manque en France…Cette grosse structure, le manque d’un gros sponsor qui permettrait d’avoir des filles avec un niveau mondial et des étrangères dans l’équipe qui emmèneraient nos coureuses vers le plus haut niveau ».

Zoom sur le fleuron du cyclisme féminin français, l’équipe Poitou Charentes Futuroscope 86
Seule équipe française membre de l’UCI Women’s Tour, le Team Poitou Charentes Futuroscope 86 s’inscrit véritablement dans le développement du cyclisme féminin français: « Cette équipe est la seule en France à donner la possibilité aux coureuses de rouler sur le circuit World Tour » nous rappelle Manou Merlot. Outre cette ouverture sur le monde professionnel, l’équipe offre des conditions d’évolution de qualité. Les coureuses sont suivis à l’entrainement avec un directeur sportif professionnel et réalisent des stages. Les membres de la formation ont également un accès aux matériaux de haute performance, entretenus par un mécanicien spécialisé, cette équipe est véritablement un pôle d’excellence du cyclisme féminin français. Mais malgré sa structure, les coureuses sont toujours confrontés aux mêmes problèmes, la non rémunération: « Les filles ne sont pas rémunérées, elles bossent, vont à l’école, appuie Manou Merlot , avant d’enchaîner ce n’est pas facile de récupérer, de s’entraîner comme elles veulent et donc c’est compliqué de réaliser des performances sur le circuit World Tour… » La fédération tente toutefois de développer le cyclisme professionnel féminin en créant des aides, comme les contrats aidés, mais le résultat change peu par rapport aux équipes internationales, comme nous affirme Manou Merlot: « Wiggle, honnêtement on voit la différence avec Futuroscope…On ne peut pas recruter des grandes leaders qui puissent pousser l’équipe vers le haut, même si l’équipe est forte avec Roxane Fournier ».
- Clip de présentation du team Poitou Charentes Futuroscope 86
Une médiatisation qui tend à s’améliorer
Peu médiatisé il y a encore quelques années, le cyclisme féminin s’ouvre de plus en plus aux yeux du grand public notamment par les retransmissions télévisés. En effet, France Télévisions, qui en qualité de service public et dans une mission de parité, diffusent depuis deux ans quelques courses féminines à l’image des championnats de France et du Monde, la Course by le Tour, le GP de Plouay et, c’était une nouveauté cette année, le Tour des Flandres. A côté de France Télévisions, les chaînes sportives payantes, à l’image d’Eurosport et BeIn Sports complètent ces diffusions. Mais comment expliquer la faible médiatisation du cyclisme féminin jusque alors? « C’est un cercle vicieux nous confie Manou qui poursuit, le nerf de la guerre c’est l’argent! Il n’y a pas de grands sponsors car il n’y a pas de médiatisation, et il n’y a pas de médiatisation car il n’y a pas d’argent…« , propos soutenus par Eva Mottet qui ajoute: « Le problème c’est que le cyclisme féminin amène peu de retombées car il y a peu de visibilité pour les potentiels sponsors… ».
Malgré ce manque de médiatisation, le cyclisme féminin est en développement au niveau mondial et national. Moins rapidement certes, mais l’organisation de courses nationales et la création de division nationales permettent de présenter aux coureuses, une concurrence plus forte et ainsi améliorer leurs capacités grâce à un challenge sportif plus relevé. Le projet du Team Poitou Charentes Futuroscope 86 est un réel moteur de développement du cyclisme féminin français, offrant à ses membres de se mettre à rêver de professionnalisme. Malgré cette dynamique de développement, de nombreux obstacles viennent freiner cette avancée du à un cercle vicieux, pour reprendre les propos de Manou Merlot. Le manque de médiatisation empêche l’obtention de retombées économiques, ce qui rend l’évolution des équipes difficiles. Même si les chaînes télévisés tendent à ouvrir la porte au cyclisme féminin, cette catégorie n’est toutefois pas encore pas assez connue du grand public.
Nous remercions Manou Merlot et Eva Mottet pour leur disponibilité et nous leurs souhaitons une bonne route vers leurs projets futurs !