Puncheuse de grand talent à ses débuts, championne du monde surprise pour sa deuxième saison chez les pros, Marta Bastianelli est revenue sur le devant de la scène ces derniers mois avec à la clé, un succès lors des derniers championnats d’Europe courus à Glasgow ainsi qu’une victoire de prestige lors du dernier Tour des Flandres disputé dimanche dernier.
Un diamant à polir
Née à Velletri, une ville située dans la province de Rome, Marta Bastianelli s’illustre dès ses jeunes années avec des résultats prometteurs. En 2004, elle prit la 2e place des Mondiaux de Salzburg chez les juniors en étant simplement devancée par Marianne Vos. L’année suivante, elle prit le bronze lors des championnats d’Europe qui se déroulaient à Moscou en étant reléguée près de 2 minutes du duo russe Alexandra Burchenkova, Ekaterina Novozhilova. En 2006, pour sa première saison chez les professionnelles, l’Italienne prit la 15e place du Tour de Thuringe, terminant à plus de 10 minutes de Nicole Cooke, lauréate de l’épreuve, et remporta le classement de meilleure jeune de l’épreuve et prit la 3e place de la deuxième étape du Tour de Hollande (aujourd’hui connu sous le nom de Boels Ladies Tour).
C’est en 2007 que Marta Bastianelli se révéla. Pour sa première participation au Tour des Flandres, l’enfant prodige du cyclisme italien prit la 8e place. Un mois plus tard, elle dut s’incliner à deux reprises face à Marianne Vos lors du Grand Prix de Saint Marin et termina à une anecdotique 11e place, elle aurait néanmoins pu obtenir mieux si elle n’avait pas concédé 25 secondes à la Néerlandaise, qui avait remporté toutes les étapes, lors du prologue. Elle se classa ensuite 8e du Tour de Pologne (qui n’a pas le même prestige que la course masculine) après avoir notamment terminé 3e de la première étape en étant devancée par l’Estonienne Grete Treier et la Néerlandaise Kirsten Wild, et 4e lors de l’ultime étape. Neuf jours plus tard, au Pays basque, elle compléta le podium de l’Emakumeen Saria en réglant son groupe qui était à la poursuite de la Lituanienne Édita Pučinskaitė (Mirjam Melchers finira 2e). Dans la foulée, elle fit partie des plus costaudes lors de l’Emakumeen Bira, mais ses lacunes en contre la montre l’empêcha de prétendre à un meilleur classement final puisqu’elle concéda 1 minute et 22 secondes à l’Allemande Hanka Kupfernagel (victorieuse de l’étape) lors des treize kilomètres à parcourir autour d’Orduña et boucla l’épreuve à la 8e place au général à plus de 2 minutes de la Suédoise Suzanne Ljungskog. Après avoir obtenu quelques places d’honneur sur le Giro Rosa, l’Italienne termina 2e des championnats d’Europe U23 en étant seulement battue par la championne du monde en titre, la Néerlandaise Marianne Vos qui deviendra sa meilleure rivale. C’est à Plouay que Marta Bastianelli comprit qu’elle pouvait se montrer amitieuse pour le mondial de Stuttgart, puisqu’elle termina 3e de l’avant-dernière épreuve de la Coupe du Monde (à l’époque, la dernière épreuve se tenait à Nuremberg) en terminant juste derrière Nicole Cooke qui régla le sprint de son groupe qui était à la poursuite de Noemi Cantele, vainqueur de l’épreuve. Après un Tour de Hollande où elle aura été un peu plus en retrait et un Tour de Toscane qui lui servit à monter en régime, l’Italienne abordait les Mondiaux de Stuttgart avec l’étiquette d’outsider à la succession de Marianne Vos, d’autant que la Squadra Azzurra pouvait compter sur des coureuses telles que Tatiana Guderzo, Noemi Canteli ou Giorgia Bronzini, toutes trois capables d’aller chercher le maillot irisé. L’Italienne, alors âgée de 20 ans, partie seule à 15 kilomètres de l’arrivée et résista au retour du peloton des favorites, qui fut réglé par Marianne Vos, qui ne le savait pas encore, mais allait obtenir la première de ses cinq deuxièmes places consécutives lors de la course à l’arc-en-ciel, sa compatriote Giorgia Bronzini compléta le podium.
Auréolée de son maillot de championne du monde qui en appelle à d’autres, Marta Bastianelli commença la saison 2008 en obtenant des résultats corrects : 3e du Gran Premio Brissago Lago Maggiore, 8e du Trophée Alfredo Binda, du Ronde et du Tour de Berne. Elle fit également partie des plus fortes sur la Flèche Wallonne, mais dut seulement s’incliner face à Marianne Vos sur les pentes du Mur de Huy. Après un Tour de Pologne et un Emakumeen Bira plutôt décevant, l’Italienne reprit confiance chez elle en prenant la 11e place du Tour du Trentin en ayant terminé 3e de la première étape et 6e lors de la dernière. Elle prit ensuite la 6e place du championnat d’Italie et la 3e lors des championnats d’Europe, qui se déroulait également dans la Botte, où elle fut battue par la Lituanienne Rasa Leleivytė et l’Ukrainienne Lesya Kalitovska. Lors du Giro Rosa, Bastianelli joue encore avec les meilleures et prit la 9e place du général. En bref, à l’instar des Mondiaux de Stuttgart, c’est avec l’étiquette d’outsider que l’Italienne allait aborder l’épreuve sur route des Jeux Olympiques de Pékin. Du moins, c’est ce qui était prévu…
Passage à vide et renaissance
Dix jours avant l’ouverture de la plus grande scène de sport au monde, la championne du monde se voit interdire de prendre le départ du plus grand événement planétaire. En effet, Marta Bastianelli est contrôlée positif à la flenfluramine, une substance qui est utilisée pour lutter contre l’obésité et qui agit notamment sur le cerveau. Le CONI (Comité National Olympique Italien) la suspendra pendant une année. Sa suspension sera doublée par le TAS après qu’elle ait décidé de faire appel, le Tribunal Arbitral du Sport ayant estimé que la sanction initiale était bien trop clémente. Après les déboires de Vania Rossi, de son compagnon, Ricardo Riccò et de son coéquipier à la Saunier-Duval, Leonardo Piepoli, le cyclisme italien se trouvait empêtré dans une véritable crise aux allures cauchemar.
Suite à sa suspension, Marta Bastianelli retrouva le goût de la compétition fin 2010 où elle s’illustra par une 7e place au classement général du Tour de Thuringe en ayant fini à plus de 7 minutes de la Russe devenue aujourd’hui Ouzbèke Olga Zabelinskaya. 2011, sa première saison complète à la suite de sa suspension ne sera guère fructueuse. L’ancienne championne du Monde ne gagna pas (et n’a alors plus levé les bras depuis son titre mondial obtenu quatre ans auparavant), et obtint pour meilleurs résultats, une 5e place lors du Ronde van Gelderland, remporté au sprint par Ina-Yoko Teutenberg et une autre 5e place lors de la quatrième étape du Tour de Toscane qui fut également remportée par la coureuse allemande. Son début de saison 2012 laisse planer à un regain de forme, notamment lors de la Novilon Eurocup où elle fit jeu égal avec une Marianne Vos dont le règne avait atteint son paroxysme en cette saison de Jeux Olympiques de Londres. Néanmoins, cette deuxième place sera son seul résultat marquant avec une 3e place lors des championnats d’Italie. Depuis son retour, l’Italienne ne brille plus que par intermittences et celles-ci se font rares à défaut d’être uniques…
2013 est du même acabit, Marta Bastianelli ne brille qu’en Chine où elle prit respectivement la 6e, 5e et 2e place des trois étapes du Tour de l’Île de Chongming avant de finir 7e de l’épreuve de Coupe du monde éponyme. Et même si elle leva les bras pour la première fois depuis sa victoire lors des championnats du monde, après une disette de plus de cinq ans, lors du Tour du Languedoc Roussillon, l’Italienne figure désormais parmi les coureuses de second plan. Elle n’est plus la puncheuse qu’elle était lors de ses premières années et comme un symbole, lors de cette saison 2013, l’une de ses meilleures performances fut une 5e place lors du championnat d’Italie du contre la montre, cette épreuve qui était pourtant son principal talon d’Achille. À l’issue de cette 2013, l’Italienne décida de mettre sa carrière entre parenthèses pour des raisons familiales.
De retour en 2015, l’Italienne prit la 4e place du SwissEver GP Cham-Hagendorn lors du mois de mai. Elle sera, à nouveau, en retrait jusqu’au Giro Rosa où, si elle ne figure plus parmi les premiers rôles, est néanmoins capable de bien figurer lors d’un emballage final, comme le montre sa 2e place lors de la quatrième étape entre Pioltello et Pozzo D’Adda où elle ne fut battue que par sa compatriote Annalisa Cucinotta. La suite de sa saison sera encourageante, avec des places d’honneur le BeNe Ladies Tour, le Sparkassen Giro où elle prit 7e place, soit son meilleur résultat en Coupe du Monde depuis son retour, sur le Trophée d’Or, le Boels Rental Ladies Tour ainsi que sur le Tour de Toscane où elle s’imposa lors de la première étape pour ce qui fut son unique victoire de la saison. La saison 2016 commence de la plus belle des manières pour l’ancienne héritière de Michela Fanini, puisqu’elle leva les bras dès le mois de février à l’occasion de l’Omloop van het Hagelan où elle régla au sprint la Canadienne Leah Kirchmann et la Finlandaise Lotta Lepistö. Deux semaines plus tard, elle remporta le sprint pour la 5e place du Tour de Drenthe comptant pour le classement World Tour venu succéder à la Coupe du Monde. Lors du mois d’avril, elle prit la 2e place du Grand Prix de Dottignies où elle fut battue par sa compatriote, double championne du monde, Giorgia Bronzini. Trois semaines plus tard, le 25 avril, elle remporta son second succès de la saison lors du GP della Liberazione, c’est déjà autant que lors des deux dernières saisons qu’elle a disputées. Cinq jours plus tard, en Grande-Bretagne, elle prit la 5e place de la Women’s Tour de Yorkshire Race, remportée par Kirsten Wild. Le mois suivant, lors de l’Aviva Women’s Tour, elle figura à nouveau parmi les cadors lorsque l’heure de l’emballage final sonna puisqu’elle prit la 4e place de la première étape qui avait vu la Luxembourgeoise Christine Majerus s’imposer et elle ne dut s’avouer vaincue que face à Lotta Lepistö lors de la cinquième et dernière étape de l’épreuve britannique. Sur le Giro Rosa, bien qu’elle se montrât irrégulière, l’Italienne prit la 4e place de la quatrième étape à Lovere où c’est l’Australienne Tiffany Cromwell qui s’avéra être la plus véloce, et elle prit également une 2e place lors de la pénultième étape s’achevant à Legnano où elle fut battue par Giorgia Bronzini. Sur le Trophée d’Or, la Veliterni (gentilé de Velletri, sa ville natale) fut irrésistible, elle s’imposa lors de la deuxième et quatrième étape et prit la 3e place lors de la troisième étape. Lors du Tour de Belgique, elle figura encore parmi les mieux classées, 4e de la première étape, 6e de la deuxième et 2e de la dernière étape qui s’achevait à Geraardsbergen où elle régla le peloton des battues, relégué à plus d’une minute d’Annemiek van Vleuten. Deux jours plus tard, à Madrid, elle prit la 3e place de la Madrid Challenge by la Vuelta. C’était son premier podium dans une épreuve World Tour depuis la Flèche Wallonne 2008, soit plus de huit ans après avoir été la détentrice du maillot arc-en-ciel et après avoir été celle qui devait, avec Marianne Vos, prendre la succession de Nicole Cooke et Oenone Wood au sommet du cyclisme féminin. Elle ponctuera sa saison par une 5e place au championnat du monde de Doha, son meilleur résultat dans l’épreuve depuis son sacre neuf saisons auparavant.
En 2017, Marta Bastianelli poursuivit son retour en grâce, 4e de Gent-Wevelgem remporté par Lotta Lepistö, elle conserva son titre lors du GP della Liberazione avant de remporter, également au sprint, la première étape de l’Emakumeen Bira. Si elle a désormais fait une croix sur le classement général des épreuves d’une semaine, l’Italienne s’est désormais convertie comme une sérieuse chasseuse d’étape lors des arrivées groupées. C’est durant cette année 2017 qu’elle s’imposa enfin sur le Giro Rosa, en devançant qui plus est Lotta Lepistö qui lui avait barré sa route tellement de fois. Si la suite de sa saison fut un peu plus en retrait, elle la ponctua en beauté en s’imposant lors du Gran Premio Beghelli Internazionale. 2018 commença sous le meilleur des hospices pour l’Italienne puisqu’elle s’imposa lors de la deuxième étape de la Setmana Ciclista Valenciana devançant la Britannique Hannah Barnes et l’Espagnole Alicia González. Elle échoua au pied du podium lors du Tour de Drenthe, remporté par Amy Pieters. Néanmoins, deux semaines plus tard, le 25 mars 2018, lors de Gent-Wevelgem, Bastianelli remporta sa première classique World Tour en devançant, lors de l’emballage final, Jolien D’Hoore et Lisa Klein. 13e du Ronde, l’Italienne continua sur sa lancée en Belgique en remportant le Grand Prix de Dottignies et la Flèche brabançonne. Après avoir obtenu quelques places d’honneur lors de l’OVO Energy Women’s Tour, il lui fallut attendre le Tour de Belgique pour savourer à nouveau le bonheur d’une victoire lors de la troisième et dernière étape du BeNe Ladies Tour, qui s’achevait à Zelzate. Après s’être déplacée en Grande-Bretagne pour disputer les championnats d’Europe qui se tenaient à Glasgow, elle prit une anecdotique 28e place lors de la Prudential RideLondon Classic en guise de préparation. Lors de la course en ligne des championnats d’Europe, l’ex-championne du monde bénéficie du travail d’Elisa Longo Borghini qui, se sachant battue au sprint par sa compagne d’échappée : Anna van der Breggen, décida d’enterrer la future championne du monde. Dans le final, Marta Bastianelli se montra la plus véloce et priva Marianne Vos, 2e de l’épreuve, du doublé, comme lors des championnats du monde de Stuttgart en 2007, comme un symbole…
En 2019, Marta Bastianelli réussit le meilleur début de saison (et d’ores et déjà sa meilleure saison) en carrière puisque lors de ses dix premières courses de l’année, elle n’a jamais figuré en dehors du top 10, 2e de l’Het Nieuwsblad, 8e du Samyn (son moins bon résultat de l’année), 4e des Strade Bianche sur un parcours qui pourtant aurait davantage convenu à la coureuse qu’elle fut il y a dix ans, 3e du Drentse Acht van Westerveld, remporté par la Française Audrey Cordon-Ragot, 7e à la Panne, 4e de Gent-Wevelgem, 2e d’A Travers la Flandres. La championne d’Europe est possédée par un sentiment d’invulnérabilité. Son titre européen l’a fait passer dans une autre dimension si bien qu’aujourd’hui elle obtient le palmarès qui aurait pu être le sien sans ses déboires, puisque c’est durant cette année 2019 qu’elle franchit un nouveau cap. D’abord sur le Tour de Drenthe où elle régla les Néerlandaises Chantal Blaak et Ellen van Dijk. Puis, lors du Tour des Flandres où elle devança, dans un sprint à trois, Annemiek van Vleuten et l’enfant prodige du cyclisme danois Cecilie Uttrup Ludwig. Désormais l’Italienne est plus qu’une sprinteuse, elle est également une redoutable flahute.
Bastianelli-Vos rivale d’un jour, rivale de toujours
Lorsque le nom de l’Italienne est évoqué, il est difficile de ne pas faire de comparaison avec Marianne Vos : les deux sont de la même génération, les deux ont réussi des débuts tonitruants chez les professionnelles, les deux avaient plus ou moins le même profil de coursière (Marianne Vos étant seulement supérieure dans l’exercice chronométré) et les deux ont su évoluer de la même façon en s’adaptant à la nouvelle génération et en modifiant leur spécialité de prédilection puisqu’après avoir été des redoutables puncheuses, elles font partie des meilleures sprinteuses du peloton. Alors certes, avant 2015 et son année sabbatique, Marianne Vos faisait déjà partie des meilleures lors des emballages finaux, mais aujourd’hui il s’agit de sa principale arme pour gagner des courses. Et plus que le profil, le palmarès, tant les deux femmes ont joué au chat et à la souris depuis leurs plus jeunes années, quand Marianne Vos fut sacrée, à Vérone, championne du monde junior en 2004, elle devança Marta Bastianelli. Lors des championnats d’Europe espoirs (à l’époque l’épreuve n’existait que pour les jeunes) la Néerlandaise devança à nouveau l’Italienne. Sans parler du fait que chaque fois (ou presque) que la Néerlandaise s’est octroyé le droit de parader une saison avec un maillot distinctif, L’Italienne lui a très souvent répondu l’année qui a suivi en la devançant. Quand Marianne Vos fut sacrée championne du monde en 2006, Marta Bastianelli lui succéda en 2007 en la devançant. Quand Marianne Vos s’imposa lors des Europe en 2017, Marta Bastianelli lui succéda en 2018 en la devançant à nouveau…
Si les deux femmes n’ont pu nous offrir cette rivalité alors qu’elles étaient à leur paroxysme, aujourd’hui, les deux coureuses sont revenues sur le devant de la scène pour nous offrir ce combat que tout amateur de cyclisme féminin souhaitait voir il y a dix ans, pour le meilleur, et surtout pour le sprint…