Lieu d’arrivée de l’Enfer du Nord, le vélodrome de Roubaix s’inscrit dans le patrimoine du cyclisme. Un lieu mythique, où les spectateurs attendent de longues heures que les coureurs pénètrent dans l’enceinte, tels des gladiateurs prêts pour un dernier combat.
C’est un moment rare. Presque hors du temps. S’il défile, il parait comme étant suspendu. Au loin, quelques applaudissements laissent supposer que le moment tant attendu arrive. Pourtant, pas un murmure ne se fait entendre. Un silence assourdissant. Seule la brise peut trouver un écho. Seules les gouttes de pluie – quand il y en a –, tombant sur son sol, peuvent être audibles. Unique. Comme un temps de recueillement. Une respiration qui paraît durer. Alors qu’elle tient seulement en quelques secondes. Bienvenue dans les derniers instants avant l’arrivée sur le vélodrome. Ce lieu où les plus grands ont forgé leur instant de gloire. De grâce.
Il peuvent être des centaines. Un millier. Plus encore. Rien ne changera. Ce silence ne sera rompu qu’au moment venu. Celui de l’arrivée de la tête de course pour le tour et demi de piste. Comme une libération. La fin des souffrances du jour. Les souffrances d’une journée en Enfer.
Un instant particulier. L’ambiance monte, au fur et à mesure de l’après-midi. Puis, retombe en une fraction de seconde. Rien n’est semblable. Et les minutes qui suivent ne sont que beauté. Auditive et visuelle. Sportive et populaire. Mêlées de rires et de larmes. De joies et de peines.

« Fin de l’attente pour eux, fin des souffrances pour les autres »
Quand ils entrent sur la piste, ce ou ces éclaireurs du jour, ce ou ces forçats de la route, la face pleine de poussière, de boue, ou bien les deux, prennent autre chose en plein visage. Le silence du lieu se transforme. Le mutisme laisse place à une clameur presque incandescente. Comme si le public lui-même était soulagé. La fin de l’attente pour eux, la fin des souffrances pour les autres.
Cette clameur vient, ainsi, rompre un silence pendant lequel toute une foule a retenu son souffle. Des centaines de personnes restant bouche-bée. À la fois impatientes et admiratives. Avant de laisser éclater leur bonheur. Celui de voir les héros du jour. Celui ou ceux qui, une minute plus tard, franchiront en premier la ligne d’arrivée. Ceux qui, soixante secondes après leur entrée dans le vélodrome légendaire, tenteront de graver leur nom en lettres d’or sur le palmarès d’une épreuve mythique.Irréelle.
« Ses bras vers le ciel, il n’est même pas sûr qu’il perçoive la fureur qui l’entoure »
Pendant cette minute, soit de parade, soit de bataille, la clameur est entrecoupée de moments de calme. Presque insensés. Tant le spectacle est éblouissant. Et, une fois la ligne franchie, c’est un vacarme sans nom que le vainqueur prend en pleine face. Ses bras vers le ciel, il n’est même pas sûr qu’il perçoive la fureur qui l’entoure. Lui vient d’atteindre son Graal. Il a triomphé sur cette piste dorée. Devant ces personnes admiratives. Ces gamins, la tête dépassant à peine des barrières. Ces femmes, plus abasourdies que jamais. Ces hommes, au fond, qui n’ont vu qu’avec leurs oreilles, et qui ont compris que la pièce venait de s’achever. Et que, désormais, les résistants de la journée allaient défiler.
En ce dimanche saint d’avril, même l’Enfer a son Paradis. Les flammes du podium, qui jaillissent, et apportent une chaleur momentanée, en sont le mélange parfait. Ce Paradis dans l’Enfer, il a un nom. On l’appelle vélodrome.