Il rêvait d’atteindre le Pacifique à la seule force des mollets, mais son périple de 14 000 km s’est arrêté net… dans une prison russe. L’aventurier Sofiane Sehili, figure de l’ultracyclisme, a vu sa traversée de l’Eurasie se transformer en épopée diplomatique. Une odyssée où la passion du vélo a croisé, bien malgré lui, les frontières de la géopolitique.
Un défi titanesque pour un aventurier hors norme
- Traversée de plus de 14 000 km entre Lisbonne et l’océan Pacifique
- Objectif : battre le record du « Forest Gump allemand », Jonas Deichmann (64 jours, 2h et 26 minutes)
- Escale dans huit pays, parfois 300 km par jour au programme
Né à Clichy en 1981, Sofiane Sehili, aujourd’hui 44 ans, n’avait pas forcément le pédalier dans le berceau. C’est en 2010, lors d’un voyage en Asie du Sud-Est, qu’il découvre sur le tard la passion du bikepacking. Une révélation qui le pousse à enchaîner périple après périple, gravir mille sommets et remporter des épreuves mythiques du genre : Silk Road Mountain Race, French Divide, Atlas Mountain Race. Et, tel un roi du monocycle ou un prophète de la selle douloureuse, Sofiane s’impose rapidement comme l’un des meilleurs ultracyclistes off-road de la planète.
En juillet 2025, confiant au média BikePacking son appétit d’absolu, il déclare : « Je continuerai à rouler jusqu’à ce que je ne puisse plus et qu’un océan me barre la route. » Une promesse gonflée d’air frais, et pas seulement de chambres à air !
Des steppes brûlantes… aux barreaux d’une prison russe
Son défi colossal démarre début juillet 2025 à Lisbonne, sur un rythme infernal : parfois plus de 300 km avalés quotidiennement. Il file à travers l’Europe, puis en Turquie sur des plateaux grillés au soleil, poursuit en Iran sur des routes de sel à n’en plus finir, traverse le Kazakhstan — aussi vaste qu’une mer d’herbe fouettée par le vent —, fonce sur les steppes mongoles et atteint enfin les redoutables montagnes frontalières de la Chine. À chaque étape, une nouvelle géographie, de nouveaux défis, et les mollets qui frémissent rien que d’y penser.
Après des milliers de kilomètres et près de deux mois d’effort surhumain, il atteint enfin la frontière sino-russe, à moins de 200 km de Vladivostok, ce rêve ultime de l’océan Pacifique au bout du guidon. Mais c’est là que la route des héros prend une tournure rocambolesque : le 2 septembre, les autorités russes l’interpellent pour entrée illégale sur le territoire. Détention provisoire le 4 septembre, transfert dans un centre de rétention du Kraï de Primorié… et fin de parcours pour le record : la frontière, pour Sofiane, ce ne sera pas l’océan mais la cellule.
Des semaines d’épreuve derrière les barreaux
- Barrière de la langue et de la culture
- Conditions spartiates : nourriture « douteuse » et manque de douches
- Adaptation et solidarité dans l’adversité
Comme il le rapporte à Reuters : « Les premiers jours ont été difficiles. Je ne comprenais pas la langue, je ne connaissais rien à la culture russe. » Loin de se laisser abattre, notre baroudeur apprend à échanger avec ses codétenus, à communiquer péniblement avec les gardiens, et prend même quelques leçons improvisées de russe. Son avocate, Alla Kouchnir, assure qu’il a été « bien traité » lors de sa détention, même si, disons-le franchement, l’absence de douches régulières et la nourriture douteuse ne sont pas le carburant rêvé pour un cycliste d’élite. Mental et corps à rude épreuve — mais clin d’œil : la fibre de l’aventurier résiste souvent mieux que la fibre musculaire.
Un verdict heureux, une aventure qui marque
Le 23 octobre 2025, jour d’audience. La presse locale le surprend debout, en tenue de cycliste, dans une cage métallique, chaussures de vélo aux pieds (mais lacets confisqués, sécurité oblige…). La cour le reconnaît coupable, mais lui accorde une libération immédiate. Cerise sur le bidon : il est même exempté de l’amende de 50 000 roubles (environ 530 euros) initialement prévue.
Le ministère français des Affaires étrangères, dans un rare soupir de soulagement, salue un dénouement aussi heureux qu’inespéré. Sofiane Sehili, lui, l’avoue en sortie de tribunal : « C’est un bon verdict pour moi, donc je suis heureux. J’essaie de retenir le positif, sans trop m’attarder sur le négatif, et de conserver, autant que possible, un bon souvenir de la Russie. »
Pourquoi cette clémence ? Peut-être parce que, dans certaines zones du Kraï de Primorié, l’accès est strictement limité pour les étrangers, et que Sehili, avide de record plus que d’espionnage, s’y est engagé sans arrière-pensée politique — juste une volonté farouche de finir son défi monumental.
Il rentre donc sans trophée mais avec la liberté retrouvée : et si, dans le climat tendu du monde actuel, ce n’était pas là le plus beau des prix ? Un conseil : pour la prochaine odyssée, penser à réviser la géopolitique en même temps que la mécanique vélo !







