Début juin, un patient présentant un passé médical déjà chargé – il a souffert d’un cancer de la prostate et d’un liposarcome abdominal – consulte son médecin traitant. Cette fois, ce sont des rectorragies (saignements par l’anus) tenaces, évoluant depuis trois longs mois, qui l’amènent à pousser la porte du cabinet. Vu les antécédents et la persistance du symptôme, son généraliste adopte le réflexe classique mais essentiel, en l’adressant au gastro-entérologue, qui l’a déjà pris en charge à maintes reprises pour des polypes coliques. Ce binôme patient/médecins semble donc rodé, du moins en apparence.

Des examens, un diagnostic préoccupant… et puis ?

Fin août, la coloscopie tant attendue a lieu. Elle ne se contente pas de révéler la flopée habituelle de polypes. Cette fois, c’est aussi une lésion de plus de 2 cm, d’aspect nécrosé, au niveau de l’anus qui attire l’œil exercé du praticien. Les biopsies, dans ces cas-là, c’est comme le fromage sur les pâtes : indispensable. Dix jours plus tard, le médecin traitant reçoit l’analyse anatomopathologique : diagnostic évoquant un carcinome épidermoïde. Même s’il s’en étonne (après tout, une telle trouvaille n’est pas banale), il ne s’en inquiète pas outre mesure, ayant confié la suite au gastro-entérologue qui a promis une nouvelle consultation une fois les résultats en poche.

Mais la vie continue, et deux mois s’écoulent sans rebondissement particulier. Lorsqu’enfin le patient consulte à nouveau, c’est simplement parce que son diabète fait des caprices. Exit les rectorragies, exit la coloscopie ; le sujet n’est même pas effleuré. S’il y a un éléphant dans la salle, il est fort discret !

Impressions, absence d’explorations et attente…

Arrive fin mars. Un scanner abdomino-pelvien (TDM) est demandé par le praticien hospitalier qui suit la piste du liposarcome. Surprise (mais pas celle qu’on espérait) : on retrouve un épaississement de la paroi rectale et des ganglions inguinaux. Face à cela, on aurait pu imaginer que l’équipe médicale saute sur l’occasion pour pousser plus loin l’exploration. Mais non : le compte rendu se contente de conseiller de revoir le gastro-entérologue, consigne laissée au patient et… restée lettre morte.

  • Aucune exploration supplémentaire n’est ordonnée à ce stade
  • Le conseil de revoir le spécialiste n’est pas suivi

Ce n’est qu’en mai, lors d’une nouvelle consultation, que le généraliste réalise que son patient n’a en réalité jamais été recontacté suite à la première coloscopie. Alarme, enfin.

Diagnostic retardé et part de responsabilité

Le réveil est tardif : le médecin traitant prend alors contact avec le gastro-entérologue, qui programme sans tarder une nouvelle coloscopie. L’examen révèle logiquement une progression de la lésion tumorale. Un traitement combinant radiothérapie et chimiothérapie est finalement décidé.

Dans cette affaire, un expert a été sollicité pour évaluer les conséquences du retard. Bonne nouvelle (si l’on peut dire) : selon lui, ce retard n’a pas modifié les traitements proposés. Mauvaise nouvelle : la probabilité d’éviter une rechute a diminué. Cette perte de chance d’éviter une récidive, estimée à 25%, n’a pas été prise à la légère :

  • 80% de cette perte de chance est attribuée aux manquements du gastro-entérologue et du généraliste
  • 20% relève de l’attentisme du patient, qui n’a pas suivi le conseil de consulter à nouveau

En somme, ce récit médical fait office de rappel éloquent : en santé, chaque chaînon compte. Communication, suivi, implication : rien n’est accessoire ! Si des erreurs de parcours peuvent sembler minimes sur le moment, elles finissent parfois par peser lourd dans la balance…