« Des pistes cyclables non genrées ? Encore une trouvaille lyonnaise pour faire râler, ou une vraie avancée pour pédaler égaux ? Derrière cette querelle sémantico-politique, une réalité bien têtue subsiste : oui, le vélo, c’est encore très souvent une affaire… d’hommes. Décryptage scientifique (et sans stabilo fluo).

Des pistes « inclusives » : la polémique enfourche la ville

Quand la métropole de Lyon annonce en grande pompe l’achèvement du premier tronçon des fameuses Voies lyonnaises le 4 juin, elle affiche une ambition neuve : concevoir des pistes cyclables non genrées et inclusives. Voilà qui n’a pas manqué de faire réagir. L’opposition de droite – sans doute allergique à la roue libre idéologique – s’enflamme dans un communiqué contre cette nouvelle marotte. Même des journalistes s’interrogent, à l’instar d’Emmanuelle Ducros de l’Opinion : « Comment une route peut-elle être sexiste ? » s’étonne-t-elle, ironisant sur LE vélo, LA bicyclette, voire « iel biclou ».

Face au scepticisme, le vice-président lyonnais en charge des mobilités, Fabien Bagnon, précise la philosophie de ces aménagements : il s’agit bien de pistes cyclables assez larges et sécurisées pour les fauteuils roulants comme pour les familles, et surtout, d’identifier ce qui freine la pratique cycliste selon le genre. Traduction : rendre le vélo attractive pour les femmes, notamment en bousculant certaines habitudes urbaines… Et si la route « sexy » n’était pas qu’une affaire de guirlandes lumineuses ?

Pistes genrées : les chiffres, le choc

La question, derrière les effets d’annonce et les clins d’œil politiques, est sérieuse : le vélo en ville est-il vraiment le terrain de jeu des hommes ? Sur ce point, la science ne pédale pas dans le vide. Matthieu Adam, géographe au CNRS, est catégorique : la pratique du vélo est inégalitaire du point de vue du genre. Pourquoi ? Parce que les aménagements urbains restent « majoritairement conçus par des hommes, pour des hommes ».

Ainsi, selon plusieurs études :

  • 60 % des cyclistes urbains en France sont des hommes
  • Seulement 40 % sont des femmes

Un différentiel « très conséquent », estime le chercheur. D’où vient alors cette fracture sur deux-roues ?

Enfance, tâches domestiques : la bicyclette au plafond de verre

La source du problème ? Selon Matthieu Adam, elle remonte à l’enfance : « Les garçons sont encouragés à investir l’espace public et le sport, pendant qu’on explique aux filles que ce même espace est risqué. » Des attentes sur l’habillement ou la coiffure viennent compliquer un peu plus l’accès régulier des femmes à la bicyclette – car difficile de pédaler sereinement quand le brushing est menacé par le vent.

Le tout est aggravé par la vieille habitude patriarcale : ce sont encore principalement les femmes qui assument les tâches domestiques, dont les courses et la gestion des enfants. Or, tous ces déplacements cassés en mille (supermarché, école, retour maison…) sont rarement compatibles avec une longue virée à vélo. « On observe un net décrochage de la pratique cycliste autour de 30-35 ans, à chaque naissance d’un nouvel enfant. Et cette baisse n’est que partiellement compensée par une reprise chez les femmes plus âgées », note le géographe. On n’a jamais vu un tricycle pour trois marmots et quatre sacs de pommes de terre, c’est vrai.

Pistes plus sûres : plus de femmes, plus de liberté

Bonne nouvelle, certains freins sont purement techniques et donc surmontables. Une récente étude américaine, parue en mai dans la revue Cities, montre que lorsque des axes bénéficient d’aménagements sécurisés, la part de femmes augmente de 4 à 6 %. Mieux, plus elles sont nombreuses à pédaler, plus cet effet boule de neige attire d’autres femmes. Moins de danger ressenti sur la piste, c’est aussi plus d’autonomie pour les enfants… et pour les mères.

Pourquoi sécuriser les pistes ? Le constat est simple : l’espace public demeure « hostile » aux femmes, entre tensions avec les automobilistes et agressivité bien trop fréquente. En cas de conflit, les insultes sexistes fusent vite, déplore le chercheur. D’où l’enjeu d’espaces séparés, réduisant les altercations, pour encourager vraiment les femmes à prendre le guidon.

Car, sur le fond, le vélo n’a pas qu’un intérêt sportif : il donne aux femmes un début d’émancipation – il permet d’aller plus vite, de s’éloigner des situations de harcèlement de rue, d’agrandir son périmètre, et tout simplement de se déplacer librement.

En somme, l’exécutif lyonnais ne réinvente pas la roue : derrière le débat de mots, il s’agit de répondre à des attentes bien réelles. Le mieux à faire ? Prêter attention à ces besoins concrets. Après tout, la route, elle, ne fait pas de distinction, mais notre société, elle, a encore quelques virages à prendre pour que le vélo fasse… vraiment l’unanimité.